Un décor épuré : trois chaises, un écran, un tapis de cailloux blancs. Les quatre-vingt-dix élèves , dès l’arrivée de Stéphane Olivié-Brisson sur scène, font silence. Un silence rapidement habité ; ils réagissent aux pensées qui se déploient comme embarqués dans un voyage dans le temps. Le temps d’une existence qui révèle le palpitement d’un monde vaste, écrasant et exaltant. L’acteur élégamment habillé du costume de Marcello Mastroianni dans l’adaptation cinématographique de « L’étranger », est seul sur scène. Il nous prend par la main et nous montre combien « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent » A. Camus, L’homme révolté, 1951.
En 1h20 de représentation, Stéphane Olivié-Bisson multiplie les tableaux : la chaleur du soleil d’Alger, la pauvreté, la maladie de la mère, l’amour pour Jeanne prémices de l’amour s’ouvrant sur l’absolue beauté tel que la vit Albert Camus. « Il faut avoir un amour, un grand amour dans la vie, cela fait un alibi pour exister ». Les propos se complexifient, se nuancent, se transforment . « On ne peut rien fonder sur l’amour, c’est une chute ! ». Mais quelle chute !
Les élèves sont attentifs à l’appel de l’abîme, au risque de la pensée, à la justesse d’un homme qui s’est consacré à « écrire comme il lui faut nager ; parce que son corps l’exige. »
Les épisodes de vie défilent et évoquent l’engagement de l’écrivain, la politique, le théâtre, son prix Nobel en 1957 et toujours cette méfiance face à la renommée : « la renaissance est dans le désintéressement ».
Des mots égrenés comme des cailloux semés pour trouver un chemin où terre, douleur, mer, misère, le monde, été, désir, l’homme, se font échos. Durant cette représentation de l’intime qui rencontre l’universel, les élèves-spectateurs sentent s’agiter en eux l’humanité, l’autre soi, donnant résonnance à cette pensée qui nous définit puissamment : « l’ homme n’est rien en lui-même. Il est une chance infime mais il est responsable de cette chance ».
« C’est intense ! On a pris le spectacle en pleine face. » dira Mickael.
Tous sont admiratifs, interdits mais cependant désireux de poser des questions à l’acteur.
Catalina se lance : « Qu’est-ce qui vous touche dans l’écriture de Camus ? »
Stéphane Olivié-Bisson : « Camus ne prend aucun raccourci. Les Carnets sont comme une malle aux trésors. Tu sais, Camus, c’est un penseur pour la vie. J’ai monté « Caligula », je travaille à la mise en scène de « La Mort heureuse » et toujours je découvre des similitudes, des coïncidences dans nos vies. J’aime le dire, j’aime le vivre. »
« Les cailloux blancs du décor, pourquoi ? » enchaîne, Julie, une jeune fille du lycée Guillaume Apollinaire.
« Pourquoi pas ? » lui répond le metteur en scène. « J’aime apporter la Nature. Mais toi, comment as-tu vu cela ? »
Julie : « Je trouve que ça crée un univers sonore. Quand vous marchez sur ces cailloux blancs, ils crissent et puis, on voit vos traces de pas. Elles sont comme des transmissions rendues visibles. »
Une parole d’élève spontanée qui interroge et nous rend heureux. N’est pas pour ce type de réflexions que de telles initiatives se font ? Dire, penser, révéler, imaginer, se rencontrer…