A l’occasion du 400ème anniversaire de la naissance de Molière (1622), cinq classes de première générale et technologique ont pu assister au spectacle de la pièce « Le malade imaginaire » interprété par Jean-Baptiste Giorni et Nathaniel Baker de la Compagnie l’Emergence.
Cette pièce fait partie des œuvres au programme des épreuves anticipées de français du baccalauréat, dans le cadre de l’objet d’étude : « Le théâtre du XVIIème au XXIème siècle » et du parcours associé : « Spectacle et Comédie ».
Durant deux sessions de deux heures et devant un public de près de 180 élèves et leurs enseignants de lettres, les deux jeunes comédiens ont réalisé un véritable exploit : condenser la pièce en trois actes de Molière en un spectacle réduit mais qui contient l’essentiel et donne envie d’en faire une lecture complète !
Toute la pièce tourne autour du personnage d’Argan, le « malade imaginaire », éponyme. Il est veuf et a épousé en secondes noces Béline, qui simule des soins attentionnés, mais n’attend en réalité que la mort de son mari pour hériter. Pour les tirer d’affaire, Toinette recommande à Argan de faire le mort.
Molière met en scène un hypocondriaque, le but étant de mettre en avant le ridicule de ce personnage, croyant mourir à chaque seconde des plus graves maladies. Ces proches en jouent à son détriment, n’oublions pas que sous le règne de Louis XIV, des dizaines de médecins rayonnaient autour du monarque…peut-être un peu hypocondriaque lui-même ?! Jean-Baptiste, incarnant les Diafoirus père et fils et autre valet se déguisant, révèle la grande crédulité d’Argan et la malveillance de ceux qui en veulent à ses pistoles…
Les élèves ont été attentifs durant la pièce et n’ont pas manqué de questions lors de l’entretien qui a suivi :
« Pourquoi avoir fait ce choix de scène ? » (Alexandra)
« La dramaturgie, la réécriture m’intéressent beaucoup. Nous avons choisi cette scène parce qu’elle nous a semblée significative et nous nous sommes permis de petites incursions, comme la scène des amants par exemple, illustrée par deux marionnettes. Clin d’œil à une autre forme théâtrale : Guignol ! Nous souhaitions également inclure les expressions en latin afin de montrer comment les ressorts dramaturgiques peuvent devenir comiques. Tout a été imaginé pour une mise en scène réduite et itinérante. » (Jean-Baptiste)
« Pouvez-vous nous en dire plus sur la mise en abyme ? » (Alexis)
« La mise en abyme, du théâtre dans le théâtre, nous l’avons aussi imaginée à partir des masques que portent JB. La Commedia dell’arte est une technique théâtrale qui nous inspire beaucoup, nous laissons libre cours à l’improvisation régulièrement…La mise en abyme aide à la compréhension, on voit à travers d’une autre façon, on crée de la perspective et ici notamment on cherche à mettre en avant le comique de situation. » (Nathaniel)
« Pourquoi cette œuvre de Molière en particulier ? » (Clément)
« Cette œuvre est au programme de français du baccalauréat, il nous a donc semblé intéressant d’en proposer une réécriture adaptée à un public lycéen avec un format court suivi d’une rencontre, parler du métier de comédien mais pas seulement, il y a des quantités de corps de métier qui gravitent autour du plateau ! Dans les petites compagnies particulièrement, on apprend à tout faire, on essaie de baliser au mieux et pourtant il y a toujours des imprévus. » (Jean-Baptiste)
« Comment êtes-vous venus au théâtre ? » (Alexandra)
« Au Collège, j’ai commencé à en faire pour tenter de vaincre ma timidité ! Puis j’ai compris que cela me plaisait beaucoup, j’ai alors suivi un parcours classique, d’abord des études de Lettres puis le Conservatoire. En jouant avec Jean-Baptiste, je me suis aperçu que même en ayant des méthodes et des habitudes de jeu différentes, il existe une grande proximité (de fait !) et une complémentarité entre nous. » (Nathaniel)
« Que pouvez-vous nous dire du stress ? » (Marwan)
« Le trac est utile ! Avant d’entrer sur scène, j’essaie de me détendre au maximum, je baille plusieurs fois par exemple. Le stress peut être positif et servir de moteur, avoir un coup d’adrénaline nous le ressentons tous mais c’est pour ça qu’on aime jouer. » (Nathaniel)
Voir la représentation jouée d’un texte dramatique est un atout indéniable. Les élèves ont livré leurs impressions sur ce qu’ils avaient vu, avec fraicheur et maturité :
Le caractère condensé de la pièce, centrée sur la satire de la médecine se présente « comme un résumé qui incite le lecteur à lire le livre » (Raphaël), « pour connaître les parties de l’histoire qui n’ont pas été jouées » (Manon), ou mieux, comme des « coupures effectuées par les comédiens » pour mieux s’ « adapter à l’histoire et son fil conducteur » (Enola). L’écart ou le manque ainsi créé permet au lycéen une approche heuristique du texte. Il ne s’en est pas trouvé frustré pour autant, « immiscé dans l’histoire » (Michaël F.) grâce à un jeu d’acteurs « donnant vie à la pièce » (Candice P.), « un jeu d’acteur très expressif et explicite » (Emma), qui a réussi à être « clair même avec le changement de masques et des marionnettes » (Tom M.). D’ailleurs, l’usage de ces accessoires empruntés à la farce et à la Commedia dell’arte a séduit le jeune public, « un mélange d’ancien et de contemporain » (Bastien), « en même temps, des objets d’époque mais aussi des objets de notre époque » (Marwan), « plusieurs personnages sont représentés » à l’aide de masques pour les différencier » (Matthias). Certains élèves ont vu au-delà, la portée allégorique de ces masques ou marionnettes « pour montrer que les pères utilisent leurs enfants » (Michaël F.).
L’échange qui a suivi a été très apprécié donnant « les bases pour comprendre la complexité de cette pièce » (Alexandra), des « éléments sur l’œuvre » permettant une lecture « plus simple » (Maksim).
La rencontre a donc été un succès : « c’est moins abstrait que dans le livre » (Emma), « on la (l’œuvre) vit, on sent les émotions de chaque personnage et leurs relations et leurs situations » (Théo).
Le mot d’ordre du « plaire et instruire » est pleinement réinvesti ; une représentation « divertissante et captivante » dira Karine, « un bon moment à rigoler » de conclure Tom M., et – comme le soufflera malicieusement Noah – « commencer avec cela le lundi matin, c’est bien ! »
Un grand bravo aux comédiens pour leur adaptabilité et leur spontanéité ! Laissons le mot de la fin à Eric Ruf, administrateur général de la Comédie française : « Molière aux mille visages et au mille théâtres, bien malin celle ou celui qui désignerait l’authentique […] Alors ne craignons pas de continuer à le pister dans toutes les directions, qu’elles soient fastueuses ou maigres, révolutionnaires ou potaches, fondées ou masquées, ciblées ou détourées. »